jeudi 16 juillet 2009

Persona non grata

En août, cela va faire deux ans qu’a débuté ma dysphorie d’identité de genre. Depuis, j’ai énormément gagné d’amis. Je suis une transsexuelle vraiment chanceuse. J’ai gardé la plupart de mes clients et m’en suis fait de nombreux autres à tel point que ma condition a eu pour effet de grossir ma business. J’ai de nombreux amis qui m’ont soutenus tout au long de ce périple. J’ai surtout l’immense chance d’être encore avec ma conjointe. Il n’y a qu’une ombre au tableau. C’est l’ombre de ma famille pour qui je suis « persona non grata ». C’est d’ailleurs ironique que je sois présidente d’honneur des Célébrations de la fierté de Montréal et que je m’élève contre la discrimination basée sur l’orientation ou l’identité sexuelle dans notre société et que je vive ça dans ma propre famille. Mais c’est la vie. Ce qui me blesse le plus dans cette histoire est d’être isolée de mes neveux et nièces et de ne plus pouvoir les voir et les gâter comme j’aimais le faire. Je n’ai jamais eu d’enfant et ils étaient mes enfants par procuration.

Nous sommes 6 enfants et 3 autres additionnels par alliance dans ma famille et seul mon père est encore vivant. Depuis mon opération, seul un de mes frères et sa conjointe sont venus me voir à l’hôpital ou m’ont donné signe de vie et j’ai contacté mon père pour lui donner de mes nouvelles. Pour les autres, je suis morte. Ma conjointe, son fils et moi n’existons plus pour eux. Tous les événements familiaux se font désormais sans nous. Pourtant, ma conjointe a été leur belle-sœur durant 13 ans et ils disaient l’aimer beaucoup. Mais depuis qu’ils savent à propos de moi, elle n’existe plus non plus. Lors de la dernière conversation avec l’une de mes sœurs, elle disait avoir besoin de temps. Je lui répondis : mais que vas-tu faire de ce temps? Vas-tu consulter, vas-tu lire de la littérature, que feras-tu de ce temps? Est-ce que tu crois que par miracle tu vas te réveiller un matin et que tout sera entré dans l’ordre et que tu seras enfin prête à me voir? Notre conversation se termina là et plus de nouvelles depuis. Mon inquiétude vient du fait que plus le temps passe, plus il passera. La culpabilité de leur connerie va grossir et le temps ne fera qu’augmenter la distanciation qu’ils ont créée entre eux et moi.

Mon incompréhension s’accentue avec le fait que nous n’avions jamais eu de heurts importants dans nos relations auparavant. Ce sont d’ailleurs des gens ouverts, cultivés et avec une formation universitaire. Ce sont des gens qui accepteraient probablement cette condition ailleurs que dans leur famille. C’est comme le racisme finalement. Ha je n’ai rien contre les noirs, les hispaniques, les asiatiques ou autres, mais il ne faut pas que l’un d’eux, mari mon enfant. Alors là, ça ne marchera vraiment pas. C’est d’une tristesse…

D'ailleurs, j’étais persuadée que ma famille comprendrait et que je perdrais tous mes clients. Ça a été tout le contraire finalement. C’est peut-être mieux ainsi parce qu’au moins je peux subvenir à mes besoins et que si le scénario que je m’étais fait avait été le bon, ce ne serait très certainement pas ma famille qui me ferait vivre aujourd’hui.

Si ma mère était toujours vivante, les choses se seraient très certainement passées autrement. Elle était le ciment de la famille et elle connaissait depuis longtemps l’inconfort identitaire que je vivais. Mais elle n’est plus là…

19 commentaires:

Sofia a dit…

Il y a la famille dans la quelle on voit le jour sans la choisir. Et il y a la famille qu'on choisi et qui nous aide à voir le jour... sous un autre jour.

Courage Michelle. Vous êtes une source d'inspiration pour plusieurs d'entre-nous!

Et le temps, parfois, fait si bien les choses.

Fanie! a dit…

Que c'est triste tout ça... :-( Ils perdent tellement en se fermant à toi.
Tu n'es certainement pas la seule à vivre cette situation. On ne choisis pas sa famille mais, heureusement, on choisis ses amis.
Avec le temps, je me suis rendu compte que plusieurs gens dans ma famille avaient de très gros préjugés et ça m'attriste pour eux car ils se ferment à l'acceptation des différences et à une curiosité intellectuelle. C'est leur perte. :-(

Patrik a dit…

La famille est le noyau de la civilisation.

Mon copain vit en plein rejet par son père, qui n'accepte pas son homosexualité.

Pour ma part, ma famille (3 frères) m'accueillent toujours à bras ouverts quand je les revois.

La figure maternelle est effectivement très important dans la famille. Le dialogue passe par la mère, dans une génération où les hommes n'étaient que pourvoyeur au foyer.

Anonyme a dit…

Pour faire une comparaison avec d'autres familles, pour d'autres chicanes, pour d'autres motifs, on dirait que la mère fait vraiment la différence. Le père semble souvent assister aux chicanes comme un témoin impuissant.

Souvent, ces chicanes éclatent mais cachent souvent d'autres rancunes, d'autres griefs antérieurs.

Pour avoir vécu une chicane de famille, je pense également qu'il y a la famille dans laquelle on nait et celle qu'on se crée par les amis. Malheureusement, les familles ne sont plus aussi solides qu'avant et seuls les amis restent sans nous juger.

Anonyme a dit…

Dommage, ils ne liront jamais ceci et tes nombreux témoignages. Je suis en accord avec Sofia.
Francine

Anonyme a dit…

Dommage, ils ne liront jamais ceci et tes nombreux témoignages. Je suis en accord avec Sofia
Francine

Nadia a dit…

Quand je vous vois, Bibitte et toi (et tout votre entourage de fidèles amis et parents), il est évident que vous rayonnez et votre générosité a fait beaucoup de convaincus. Je trouve ça triste de constater que ta famille reste sur ses positions alors que grâce à ton honnêteté tu as su conquérir tant de gens.

Amusez-vous bien quand même... Je vous souhaite de belles vacances à Bibitte et toi.

Nadiaxx

Le Gentil Astineux a dit…

Je ne peux que vous souhaitez des bras ouverts de vos autres frères et soeurs et qu'ils n'attendent pas trop longtemps pour le faire.

Anonyme a dit…

Tu as tellement raison quand tu dis que plus le temps va passer, plus gros sera le malaise de te contacter. Ça finit par être assez con, que souvent on ne se souvient même plus quelle était la cause d'une rupture, etc.
Je ne les comprends vraiment. Tu es connue à travers le Québec. Tout le monde t'aime et te trouve sympathique etc.
Garde ton énergie pour ta guérison, tu verras bien après, si tu as envie de les confronter.
Mais ne te rends surtout pas malade avec ça.
Pascale

_? a dit…

Je crois que cette "distance" occasionnée par l'incompréhension de la différence (c'est une loi universelle malgré qui substiste malgré tout) n'est pas le résultat d'un amour propre qui s'est dissipé.

Au contraire... je pense qu'un des réflexes innés chez certains êtres humains mal outillés pour gérer la différence est de prendre une distance, bien malgré eux.

Je crois sincèrement que cette distance est ressentie autant d'un côté comme de l'autre, malheureusement et au détriment d'un amour propre réel qui souhaiterait substister au delà des conventions violées par la force des choses.

Rejeter l'autre... c'est trop souvent se rejeter soi-même, au détriment d'une vérité qui ne demande qu'à vivre.

Courage, Michelle... car toute entreprise marginale (même si fondamentalement nécessaire) implique tristement des résultats qui ne sont confortables ni d'un bord, ni de l'autre.

Avec tout mon plus grand respect,

Jean-François

Anonyme a dit…

Je compatis avec vous Michelle... Il est souvent plus difficile de faire le deuil des vivants que des morts.

Il ne faut pas désespérer cependant... Certains en viendront à réaliser qu'ils étaient attachés à la personne que vous êtes et non à son genre. Bon courage !

André

Gen a dit…

Awe... Je trouve ça tellement triste. Je ne comprends pas qu'en 2009 et ce, venant de la part de personnes cultivées et éduquées, ce genre de chose puisse arriver.

Vraiment, j'ai eu une boule à la gorge en te lisant. J'ose même pas imaginer comment toi tu te sens.

Isabelle a dit…

Je suis très touchée par ce que vous vivez.

Anonyme a dit…

L'identité de genre tient ses origines dans le développement hormonal du fœtus dans le ventre de la mère. Les causes sont neurobiologiques, neurochimiques et génétiques, selon les récentes études de recherches. Il y a un stigmate social voulant que le transsexualisme soit tout simplement un choix de vie, mais les résultats reposent sur la base biologique de la façon dont se développe l'identité sexuelle.
Les suicides sont nombreux chez ces personnes tellement leur détresse est grande. Elles ne choisissent pas cette vie c'est un état et non une maladie mentale.

Je ne dis pas que je suis trans, c'est trop de troubles, cela m'a causé trop d'injustices et de préjudices. Nous sommes nés ainsi et puis après !? Et si c'était votre enfant qui naissait ainsi ?
La société a un sérieux problème.

Anne

Francis Vachon a dit…

La mère de ma blonde est morte aujourd'hui. Elle était en chicane avec sa soeur et son mari et ne s'étaient pas vue ou parlé depuis 2 ans.

En apprenant la nouvelle qu'elle était sur sont dernier souffle, la soeur et son conjoint on décidé de mettre les rancoeurs de côté et de monter dans l'auto pour un voyage de 3 heures, essayant de la voir une dernière fois vivante et de faire la paix.

Ils sont arrivé trop tard...

J'espère que cette histoire ne sera pas aussi la tienne, Michelle...

Grande-Dame a dit…

Ta situation est tellement ironique! Depuis ton coming out et tes nombreuses apparitions médiatiques, tu as pour beaucoup de gens (moi comprise) démystifié la dysphorie d'identité, aidé des gens à mieux comprendre leurs proches et les (éventuellement) épauler, tu as vulgarisé de l'information sur le sujet, tu as nommé une condition peu courante qui créait un malaise par l'incompréhension qu'elle suscitait.

Tu espérais ne pas devenir le porte-étendard de la cause et pourtant, on s'est raccroché à ta crédibilité, à ta notoriété et à ton franc-parler pour mettre sur la map des maux latents la dysphorie. Des tas de gens à présent s'identifient à toi, et pas seulement des transgenres inavoués.

Tu es devenue une espèce de représentante de l'authenticité, de la levée des barrières, du bris de tabous, une espèce de symbole du courage d'être et d'assumer ses tripes. Ta franchise est touchante, ébranlante, parfois naïve et ne peut que susciter le respect pour la force qu'elle exige.

Cette essence qui fait de toi celle que tu es a contribué à faire évoluer les perceptions, secouer les préjugés, donner à un tas de gens l'envie d'être bien dans leur peau.

Ironiquement, ta propre famille n'a pas encore réalisé sa "chance" de compter dans ses rangs une représentante de valeurs aussi nobles que l'authenticité, le courage d'être soi-même, de reconnaître ses faiblesses et de savoir prendre les moyens qu'il faut pour être heureux quand on sent notre vie en train de basculer.

À défaut d'avoir su renouer avec les tiens, tu auras sans doute contribué à ouvrir de nombreuses barrières dont tu ne soupçonnes peut-être pas l'impact...

Pur bonheur a dit…

Comme tu écris bien Grande-Dame!
A lui seul, ton commentaire résume toute l'admiration que nous avons envers Michelle. J'aimerais vraiment qu'un des membres de sa famille passe ici et voit combien elle est une personne admirée et attachante.
Une autre Grande Dame quoi!

Yannick B. Gélinas a dit…

(Bien dit Grande Dame)

Courage Michelle, tu as tout mon respect, et j'espère que ta famille pourra un jour te dire la même chose, avec coeur. Dommage qu'ils ne soient pas là pour vivre la transition avec toi, t'accompagner dans cette période où tu te (re)trouves enfin. En plus de souhaiter l'harmonie avec le tiens, je te souhaite aussi que tes douleurs physiques se dissipent bien vite. Amitiés, Yannick

Unknown a dit…

Un gros merci à tous de vos bons mots et un biso particulier à cette chère Grande Dame qui M'émeut